Madame la Présidente, je prends la parole aujourd’hui pendant le débat d’ajournement pour parler d’un enjeu que j’ai soulevé pour la première fois le 3 décembre pendant la période des questions.
Il y a près d’un an, ONU Femmes a publié une note dans laquelle elle qualifie la violence contre les femmes et les jeunes filles de pandémie de l’ombre. L’existence de ce problème ne devrait cependant surprendre personne et cela n’aurait pas dû prendre la crise de la COVID pour mettre au jour la manière dont la société perpétue ce type de violence.
Les statistiques montrent que la moitié des Canadiennes ont été victimes d’au moins un incident de violence physique ou sexuelle après l’âge de 16 ans. Tous les six jours environ, une femme au Canada est tuée par son partenaire intime. Malgré des décennies de recherche et d’activisme communautaire à l’échelle du pays, la violence contre celles qui s’identifient comme des femmes, des filles et des personnes bispirituelles persiste sous forme de misogynie, de chosification et de discrimination.
Des femmes de tous les milieux sont victimes ou survivantes des divers types de violence physique, sexuelle et psychologique infligée par leur partenaire intime: des gens en qui elles ont confiance et avec qui, très souvent, elles partagent leur domicile et leur vie.
En 1982, l’ancienne députée Margaret Mitchell avait soulevé un tollé à la Chambre des communes qui avait sensibilisé tout le pays au problème de la violence conjugale. Elle avait déclaré à la Chambre que 1 homme marié sur 10 battait régulièrement sa femme au Canada. Les députés masculins avaient chahuté, ri et crié. Elle avait furieusement répondu qu’il n’y avait pas matière à rire.
Près de 40 ans ont passé depuis. Les choses ont changé à la Chambre: cette déclaration ne ferait rire aucun député de nos jours. Par contre, ce que vivent les femmes chez elles n’a pas encore assez changé: la violence persiste.
Je sais que les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient démontrer plus de leadership. Je repense à une campagne publicitaire récente, une campagne gouvernementale qui blâmait les victimes. Des affiches montraient une jeune fille à la tête recouverte d’un sac, comme si elle était à blâmer parce que des hommes et des garçons anonymes se transmettaient des images d’elle, sexuellement explicites, sur Internet. Une telle publicité est inacceptable. Elle renforce les hésitations des personnes qui craignent de signaler des abus par peur des réactions négatives.
Cette semaine, dans ma province, des survivantes d’agressions sexuelles ont déclaré publiquement avoir été manipulées par le gouvernement provincial. Elles affirment que le gouvernement se sert de leur recherche et de leurs expériences de manière à créer l’illusion qu’il souhaite les aider. Nous avons besoin, de la part du gouvernement, d’un leadership et d’une solidarité véritables, qui vont au-delà de l’illusion.
Comme on le sait, les statistiques sont particulièrement sombres pour les femmes autochtones; les femmes noires; les femmes queers, non binaires et bispirituelles; les nouvelles arrivantes; les femmes handicapées; et les femmes marginalisées pour d’autres raisons. Pour régler les défis particuliers des personnes confrontées aux taux les plus élevés de violence fondée sur le sexe, nous devons placer une perspective intersectionnelle au cœur de notre approche. J’en profite pour rappeler au gouvernement qu’il a la responsabilité de présenter un plan d’action pour donner suite aux conclusions de l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Les défis associés à la COVID-19 ne peuvent pas justifier l’attente. Comme je l’ai mentionné, la situation est plus urgente que jamais. Nous devons agir. Il ne faut plus perdre des sœurs dont la vie a été volée, ni perdre des lumières brillantes étouffées dans la nuit. Il faut agir. Il faut changer la culture. Le leadership peut servir de point de départ, je crois. C’est à notre génération d’agir, ici et maintenant.
J’ai moi-même deux jeunes garçons et je leur enseigne qu’ils doivent respecter tout le monde, employer les bons mots pour exprimer leurs sentiments et parler des obstacles qu’ils peuvent rencontrer. Je leur parle de sujets difficiles et je ne leur cache aucune des dures réalités de ce monde, mais je leur apprends aussi qu’ils ont le pouvoir de le changer, le monde. Je leur donne les moyens de faire leur chemin et je leur montre à prendre leurs responsabilités et à se faire confiance. Je suis fière du fait que mes garçons sont aussi des jeunes Autochtones, des Wolastoqew, qui auront appris à mettre fin à la violence contre les femmes ainsi qu’à valoriser et à protéger celles qui les entourent.
Je suis impatiente d’entendre la députée d’en face nous expliquer ce que le gouvernement entend faire pour combattre cette pandémie invisible, qui touche aussi le Canada.
Madame la Présidente, cela me fait penser à l’expérience que j’ai vécue pendant l’activité d’orientation lors de ma première année d’université. On m’a remis un sifflet contre le viol. On m’a montré les chemins sombres à ne pas emprunter et on m’a raconté des histoires vécues par des femmes. Voici ce que je propose: au lieu de remettre des sifflets contre le viol aux femmes et d’enlever la responsabilité de ces gestes aux agresseurs, pourquoi ne pas montrer aux femmes que nous les appuyons, que leur sécurité est notre ultime priorité et que nous prenons des mesures pour sensibiliser tout le monde à la notion du consentement? Pourquoi ne pas prouver aux femmes qu’elles peuvent communiquer avec les autorités en toute confiance si elles ont un problème, qu’elles seront crues et que leurs agresseurs seront poursuivis avec toute la rigueur de la loi?
Nous ne disons pas ces choses. D’ailleurs, il n’est pas encore possible de le faire en raison des lacunes actuelles du système. Pourquoi ne pourrions-nous pas accorder du financement directement aux organismes, particulièrement à ceux qui viennent en aide aux femmes qui fuient la violence conjugale et à ceux qui fournissent des services en santé mentale, et ainsi offrir aux femmes une multitude d’options au lieu d’une pénurie de recours? Pourquoi ne pas mettre en place un revenu minimum garanti et ainsi éviter que les femmes ne soient financièrement dépendantes de leur agresseur?
Je sais que notre génération a les moyens de mettre un terme à la violence fondée sur le sexe. Pour y arriver, il faut que le gouvernement fasse preuve de leadership et y consacre le financement nécessaire.