Madame la Présidente, je souhaite reconnaître que je parle aujourd’hui depuis le territoire non cédé de Wolastoqiyik et que je suis immensément privilégiée de faire partie des colons de ce territoire.

Je tiens tout d’abord à transmettre mes condoléances les plus sincères, et à envoyer des pensées positives, à tous ceux qui seront traumatisés une fois de plus par ces nouveaux renseignements dévastateurs concernant la réalité de pensionnats autochtones du Canada. Les restes de 215 enfants ont été découverts, enterrés sur le terrain d’un ancien pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique. Cette découverte, réalisée au moyen d’un géoradar, confirme ce que les familles et les communautés savaient déjà sans pouvoir le prouver. Ces nouvelles connaissances sont source de vérité. Nous devons regarder en face la vérité de notre passé et de notre présent avant de pouvoir bâtir la réconciliation.

Je me souviens de la première fois où j’ai découvert le concept des pensionnats autochtones. C’était pendant mes études postsecondaires. J’ai surtout fait des recherches par moi-même, et j’en ai aussi discuté avec ma famille et mes amis. Il n’en avait jamais été question à l’école. On nous avait seulement appris que le Canada était un pays de gardiens de la paix et de gens qui s’excusaient souvent, et que leurs ancêtres, de braves pionniers, avaient su surmonter les difficultés de cette terre aride et bâtir le pays que nous connaissons aujourd’hui.

Nous avons déployé de grands efforts pour effacer l’histoire et la culture des peuples autochtones. Nous avons aussi déployé de grands efforts pour effacer les gens eux-mêmes, ainsi que les preuves de ces crimes.

Le premier ministre Harper a présenté des excuses historiques en grande partie en réponse au risque croissant de devoir faire face à des poursuites, puisque des rumeurs et des histoires horribles ont fait surface et ont permis de confirmer on ne peut plus clairement, preuves documentaires à l’appui, que des actes de génocide ont été commis. Je parle non seulement d’un génocide culturel qui empêche une langue et des traditions de s’épanouir, mais bien d’un génocide au sens établi par les Nations unies.

Selon l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations unies, le génocide :
[…] s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel:

« a) Meurtre de membres du groupe; », comme lorsqu’on jette un enfant dans un escalier ou par la fenêtre du troisième étage, comme dans le roman exceptionnel d’Isabelle Knockwood intitulé Out of the Depths.

« b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; », comme séparer des enfants de leurs parents et de leur communauté, menacer de faire subir le même sort à ceux qui sont témoins d’actes de violence, forcer quelqu’un à manger des aliments périmés, raser la chevelure sacrée des enfants et leur enlever leur nom de naissance et leur langue maternelle, des pratiques documentées que bien des gens ont dû subir partout au pays.

« (c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », comme exposer délibérément des enfants à des maladies mortelles et en tirer suffisamment de fierté ou être assez effronté pour prendre des photos et les intégrer dans des manuels pendant des années dans le but de célébrer les efforts déployés pour régler le problème indien. Bien sûr, au Canada, le problème était l’existence des autochtones.

« (d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe », comme les stérilisations forcées, les avortements forcés et les infanticides visant certaines familles, notamment celles des chefs héréditaires ou des dirigeants puissants.

« (e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ». Malheureusement, de telles mesures perdurent. Plus d’enfants autochtones sont pris en charge aujourd’hui qu’au plus fort du programme des pensionnats autochtones au Canada.

Presque toutes les provinces et tous les territoires du Canada avaient de tels pensionnats. Le Nouveau-Brunswick préfère passer sous silence cette réalité, mais nous avions aussi des institutions où les enfants étaient traités comme des animaux ou pire encore, et des parents étaient privés de leurs droits chez nous. C’était tout simplement avant la Confédération. Le Canada s’en lave donc les mains.

Dans le cadre de mes recherches, j’ai étudié les témoignages de survivants, de vieux articles de journaux et des documents officiels. Il m’a fallu deux ans pour lire toute cette information. J’ai pleuré. J’étais en colère, secouée par la culpabilité et la frustration.

Je me souviens, entre autres, d’avoir regardé le film Nous n’étions que des enfants… avec mes élèves du secondaire, à qui j’enseignais la culture. J’étais alors enceinte de six mois de mon deuxième enfant, un enfant autochtone qui allait naître avec la même belle peau foncée que son père. Je n’arrivais pas à contrôler mes émotions, un peu comme maintenant. Mon bébé ressemblait de plus en plus à un miracle, puisqu’il descendait de survivants.

Mes fils n’ont jamais connu leurs arrière-grands-parents. Ils sont morts trop jeunes. On dit qu’ils sont des survivants parce qu’ils sont sortis vivants de Shubenacadie contrairement à tant d’autres. Cependant, le cauchemar de leurs expériences ne les quitterait pas. Il continuerait à ronger leur âme. Il serait présent dans leurs méthodes parentales, dans leur toxicomanie, dans leur violence familiale, dans leur refoulement du racisme subi et dans leur douleur.

La découverte des restes de 215 enfants innocents est plus qu’accablante. Pour le Canada, des excuses, des compensations financières et même des journées de reconnaissance ne suffiront jamais. Deux cent quinze familles n’ont obtenu aucune réponse à propos du sort de leurs enfants, dont certains n’avaient que trois ans, soit le même âge que le plus jeune de mes enfants.

Comment des sénateurs, des chefs de parti politique ou des Canadiens ordinaires osent-ils laisser entendre que ces pensionnats avaient de bonnes intentions, qu’ils n’étaient pas si mal ou qu’ils reflétaient leur époque?

Les meurtres couramment commis devant d’autres enfants, suivis de menaces, d’intimidation et de la dissimulation odieuse de l’utilisation de fosses communes, de documents et de certificats de décès falsifiés — ce ne sont pas là des incidents isolés. La mort d’un seul enfant, et sa dissimulation, c’est criminel et abject. Or, il y en a eu 215. Comme il est possible que l’on trouve d’autres tombes ailleurs au Canada, la probabilité qu’il y ait eu génocide est plus grande que jamais.

Nous sommes si prompts à prendre d’autres pays de haut et à leur reprocher leurs transgressions, alors que notre piédestal pourrait très bien être posé sur la tombe d’enfants autochtones tués par l’Église et l’État, ici, au Canada. C’est une honte. Il n’y a pas d’excuses au monde à même d’effacer cette douleur.

On a beaucoup parlé de la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, mais il faut faire passer la vérité en premier. La vérité, c’est que la plupart des Canadiens ignorent la pleine mesure de l’impact qu’ont eu les pensionnats autochtones, leurs effets résiduels et le traumatisme intergénérationnel.

Le projet de loi C-5 est un élément nécessaire pour donner suite aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et conscientiser, comme il se doit, la population des horreurs du passé et de celles qui se poursuivent.
Que l’on ne s’y trompe pas, les disparitions et les meurtres de femmes, de filles et de personnes bispirituelles autochtones, ainsi que les morts de Joyce Echaquan et de Chantel Moore, font partie de cet héritage. Une journée nationale de réconciliation ne vaut que par le temps qu’elle suscite pour la vérité sur ce qui a été et sur ce qui est.
 
J’appuie pleinement le projet de loi C-5 et je me joins à mes collègues pour qu’il devienne loi. Ces mesures auraient dû être prises il y a longtemps déjà. Toutefois, au lieu d’avoir pris les devants, nous ne faisons que réagir. Faisons mieux pour ces enfants et leur famille, nous leur devons.
Madame la Présidente, il est incontestable que la tradition du paternalisme se poursuit. J’ai osé voter contre le projet de loi C-15. Je sais que cela a été un choc pour beaucoup, mais c’était une manifestation de protestation contre Loi sur les Indiens qui est toujours en vigueur au Canada.

Les parents de ces enfants n’ont pas pu obtenir d’assistance juridique parce qu’il était illégal de le faire dans notre pays. Nous n’avons pas fait le travail de réconciliation, et adopter un projet de loi pour dire que cela peut arriver du jour au lendemain est irresponsable et perpétue cette approche paternaliste.
 
Les communautés autochtones ont la capacité et le leadership nécessaires pour déterminer leur propre destin. Il faut leur donner les ressources dont elles ont besoin pour le faire. Voilà la voie à suivre.
Madame la Présidente, je remercie chaleureusement mon collègue pour son témoignage. Comme je l’ai mentionné, j’ai été enseignante. J’ai travaillé dans une école intermédiaire dans la ville de Fredericton. Elle donne sur un grand cimetière très connu qui abrite des tombes de personnes parties depuis longtemps. Les enfants commentent souvent le fait que cela les rend tristes de regarder par la fenêtre et de voir un cimetière plutôt qu’un terrain de jeux, par exemple, ou quelque chose de plus joyeux.
 
Pourtant, pour les enfants autochtones envoyés dans les pensionnats, le cimetière faisait partie intégrante du paysage. Chaque pensionnat avait son cimetière. Rien que ce fait devrait tous nous choquer et nous pousser à agir. Tout repose sur les actes. Nous pouvons bien nous mettre en colère ou être émus, mais tant que nous n’agissons pas, nous n’arriverons à rien.
Madame la Présidente, ma collègue a raison. Rien ne justifie l’inaction dans le dossier des femmes autochtones assassinées ou portées disparues. En fait, la pandémie a exacerbé des problèmes existants, en particulier pour les femmes qui vivaient déjà dans des collectivités vulnérables. La possibilité que nous utilisions la crise comme une excuse est plus que troublante.
 
Nous n’avons pas non plus donné suite aux recommandations de la commission royale, ni aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. Nous avons coché quelques cases, mais nous sommes très loin de ce que nous devons faire. C’est extrêmement frustrant.

Je dois encore une fois mentionner le projet de loi C-15, et j’espère que les gens peuvent comprendre que je visais en fait à les informer. Nous n’en sommes pas encore là. Nous devons continuer d’avoir ces conversations très difficiles.
Madame la Présidente, je dois répéter son nom aussi souvent que possible. La famille de Chantel Moore mérite d’obtenir des réponses et d’obtenir justice, et la province ne peut plus laisser le rapport sans suite.

Le rapport a été rédigé il y a un certain temps déjà, et la famille a besoin de voir tous les détails de ce qui s’est passé ce soir-là. Nous devons également examiner, dans tout le Canada, en quoi consistent les vérifications de l’état de santé et le genre de risques qu’elles peuvent représenter pour les personnes de couleur et les Autochtones. Nous continuons de ne pas répondre aux attentes.