• Post published:mars 8, 2021
  • Reading time:5 mins read
  • Post category:À Ottawa
Madame la Présidente, c’est toujours un honneur de prendre la parole à la Chambre des communes. L’énormité de cette réalité ne m’échappe pas, surtout aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, une journée où nous célébrons et défendons les droits des femmes partout dans le monde. J’aimerais pouvoir me contenter de faire de belles déclarations, de souligner le travail de quelques femmes incroyables et de souhaiter à toutes celles présentes aujourd’hui une joyeuse Journée internationale des femmes. Or, compte tenu des expériences vécues par les femmes à l’échelle du pays et de la planète, ce ne serait pas suffisant.

Je désire commencer en explorant une partie de l’histoire du mouvement de défense des droits des femmes. Ce mouvement tire ses racines dans les luttes et les conflits, et il est étroitement lié au colonialisme et au racisme. Avant les suffragettes, les colons sont arrivés en Amérique du Nord et ont délibérément détruit l’essence même du leadership matriarcal des premiers peuples de notre pays. Le traumatisme intergénérationnel de ces actes continue d’être ressenti par les communautés autochtones de nos jours.

La Journée internationale des femmes remonte à 1908, quand des milliers de travailleuses dans la ville de New York ont manifesté pour dénoncer leurs conditions de travail. Ces femmes occupaient des emplois à faible salaire, ne bénéficiaient d’aucune protection et étaient régulièrement victimes de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles. Ce soulèvement s’est poursuivi pendant plus d’un an et a mené à la « journée nationale de la femme » aux États-Unis en 1909.

L’idée d’un mouvement international faisant valoir le suffrage universel est née en 1910, lors d’une conférence internationale des femmes ouvrières. La journée a pris une forme véritablement révolutionnaire en 1917 en Russie, un pays alors épuisé par la guerre, les pénuries alimentaires et l’intensification des manifestations populaires. En effet, en 1917, en conséquence directe de la manifestation de mars, les femmes russes ont exigé et obtenu le droit de vote.

Les suffragettes du Royaume-Uni et leurs homologues des États-Unis et du Canada ont suivi l’exemple de la Russie. Au Canada, les femmes blanches ont obtenu le droit de vote en 1918, mais ce droit ne sera étendu aux femmes de couleur ou autochtones que des décennies plus tard.

Nous n’avons toujours pas embrassé pleinement toutes les couches d’intersectionnalité du féminisme ni éradiqué les nombreuses façons dont les femmes continuent d’être opprimées. La pandémie montre clairement à quel point la race, le genre, la classe sociale, le handicap et le statut d’immigrant s’entrecroisent et aggravent le risque, entraînant des résultats inférieurs en matière de santé, un taux supérieur de violence familiale et de plus grandes difficultés financières.

La Journée internationale des femmes demeure imprégnée de la lutte pour les droits de toutes les femmes. Je pense aux femmes qui subissent de la violence à la maison. Le 25 février, j’ai parlé à la Chambre de la violence fondée sur le sexe. Ce jour-là, une femme de ma province a été tuée par son partenaire intime. Au Québec, en un seul mois, cinq femmes ont été tuées par leur partenaire.

Le gouvernement a investi de l’argent dans les refuges et les services destinés aux femmes fuyant la violence familiale, mais ce n’est pas suffisant. Je pense aux survivantes d’agressions sexuelles qu’un système judiciaire conçu pour protéger les biens traumatise et stigmatise encore et encore. Grâce au projet de loi C-3, enfin, les juges recevront une formation visant à les sensibiliser aux agressions sexuelles, ce qui est un pas en avant, mais notre système judiciaire est si profondément déficient que ce n’est pas suffisant.

Je pense à Chantel Moore et à Joyce Echaquan. Elles ont dû faire face au racisme et à la misogynie pendant leurs derniers instants sur terre. Notre police et notre système de santé les ont laissées tomber. Nous les avons laissées tomber.

Le gouvernement a mis sur pied un secrétariat pour lutter contre le racisme, mais il semble fonctionner discrètement, derrière des portes closes. Ce n’est pas suffisant. Je suis découragée par les défaillances de nos systèmes, aggravées par presque toutes les statistiques et presque toutes les manchettes qui sortent. Je suis découragée parce que je siège au coeur du pouvoir et pourtant, je me sens souvent impuissante à réparer des torts qui continuent à être aussi flagrants.

Je me tourne vers ce qui me donne de l’espoir. Je pense à mes sœurs, à mes amis et aux femmes avec lesquelles je travaille. À travers leurs traumatismes, je vois leur force. Je vois leur résilience. Cette année, elles ont accouché sans la présence de leurs proches. Elles ont aimé et soutenu des membres de leur famille souffrant de problèmes de santé mentale. Elles ont accueilli leurs enfants adultes qui ne pouvaient plus assurer leur subsistance financièrement parlant. Elles ont courageusement servi la population sur la ligne de front de cette pandémie, en nette surreprésentation par rapport aux hommes. Elles ont quitté des emplois où elles étaient maltraitées. Elles ont laissé derrière elles des relations violentes et elles se tiennent debout, mais pas indemnes. Mon gouvernement doit être un gouvernement qui voit leur résilience et y répond avec une force égale.
 
Quand on parle de la Journée internationale de la femme, on parle autant de luttes et de solidarité que de festivités. Aujourd’hui, pour les femmes partout au pays, la lutte est réelle. Si nous prenons des mesures concrètes, nous aurons peut-être d’autres raisons de nous réjouir l’année prochaine.