• Post published:mai 4, 2022
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  • Post category:À Ottawa
Madame la présidente, je remercie tous mes collègues pour la tenue du débat exploratoire de ce soir. Nous avons la tâche déchirante de mettre en mots la véritable horreur des femmes, des filles et des personnes bispirituelles disparues ou assassinées au Canada.

Il est important de le souligner, car nous parlons des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées comme si ce n’était que des mots, et nous oublions que cette situation est bien réelle et à quel point la discussion de ce soir est grave.

C’est avec beaucoup d’humilité et pleinement consciente de mon privilège de Blanche que je m’adresse à la Chambre en ce jour solennel.

Je prends la parole ce soir depuis le territoire non cédé des Wolastoqiyiks, où mes ancêtres se sont établis sur des terres volées, où la Couronne a signé des traités de paix et d’amitié avec les nations souveraines abénaquises afin de partager le territoire.

Dans les terres boisées de l’Est, les grands-mères, les nukumzugs, élèvent les chefs. Les matriarches sont des leaders et des donneuses de vie, des gardiennes du savoir et des tisseuses de rêves. Les personnes bispirituelles sont honorées et considérées comme ayant un don spécial. Elles ont été prises pour cible par les colons, qui n’avaient aucune intention de partager le territoire, mais qui ont plutôt déblayé le chemin en vue de la création du Canada.

La prolifération des disparitions ou des assassinats d’Autochtones au Canada correspond à la définition internationale de « génocide ». Il s’agit de la manifestation la plus perverse et la plus meurtrière qui soit d’un racisme persistant, flagrant et systémique.

La Journée de la robe rouge est une journée pour rendre hommage aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles autochtones assassinées ou portées disparues. Il s’agit d’une journée de sensibilisation, mais aussi d’une journée axée sur l’action à l’égard d’une crise des droits de la personne.

Les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles que les femmes non autochtones d’être victimes de violence. Le taux d’homicides est quatre fois plus élevé pour les femmes autochtones que pour les femmes non autochtones. Les données publiques actuelles sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues simplifient à l’extrême et sous-estiment l’ampleur du problème. Elles démontrent néanmoins clairement l’existence d’un problème de violence complexe, omniprésent et disproportionné à l’égard des femmes et des filles autochtones.

Nous devrions tous être indignés, mais pas surpris, connaissant notre histoire douloureuse et les injustices qui perdurent au pays. C’est une vérité qui dérange et qui continue de coûter la vie à des mères, des sœurs, des tantes et des filles partout au Canada, y compris chez nous, à Fredericton.

Les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues ne sont pas des numéros. Elles sont aimées et elles nous manquent. Elles font partie du tissu même de nos collectivités, et nous les laissons tomber. Nous devons poser davantage de questions sur les répercussions de nos décisions sur les femmes au pays et, comme on l’a bien dit ce soir, lorsque certains types d’industries amènent des travailleurs de passage aux portes des communautés autochtones. Des études montrent que cette présence entraîne une augmentation des taux de violence signalée.

C’est systématique: lorsque la victime est autochtone, les policiers n’enquêtent pas avec le même zèle que lorsque la victime n’est pas autochtone. Dans certains cas, on a même découvert que la police était impliquée ou complice. Je demande qu’on rende justice à Chantel.

Les trafiquants d’êtres humains ont la voie libre. Les tueurs en série, les gangs et les conjoints violents n’ont aucune difficulté à trouver leurs cibles préférées. Cela fait tellement longtemps que notre société sexualise les femmes autochtones et les réduit à l’état d’objets, et cette perception est tellement ancrée dans notre société que nous avons maintenant de la difficulté à réaliser toute l’ampleur de cette crise qui a été créée par l’histoire même de notre pays.

La Chambre a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce qui est tout un exploit. Comme à l’époque, je suis préoccupée par le fait que nous n’avons pas pleinement accepté ce que nous avons finalement reconnu à notre sujet. Le Canada doit voir la réalité en face, même si c’est expliqué dans la loi.

Pour favoriser la justice, la guérison et la paix, nous devons procéder à la décolonisation dans le sens le plus large du terme. C’est là que les plaies béantes se trouvent. « Décolonisation » est un mot qui peut faire peur à certains, mais ce qui est vraiment épeurant, c’est le fait que les femmes autochtones du Canada se demandent si elles seront la suivante.

Que pouvons-nous faire? Nous pouvons rendre hommage au travail que représente le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, intitulé « Réclamer notre pouvoir et notre place », et suivre la voie qui a été si gracieusement et courageusement tracée pour nous.

Nous devons écouter, croire et soutenir les survivantes et leurs familles; financer des initiatives de guérison comme les centres de résilience, les projets de justice, les centres d’amitié et les organisations venant en aide aux femmes; outiller les groupes de travail et les services policiers autochtones; sensibiliser le public; et être honnêtes et transparents tout au long du processus.
 
Le gouvernement s’est engagé à réparer les torts causés. Le moment est venu de prendre des mesures transformatrices. En fait, le moment est arrivé depuis de nombreuses années. Il est temps que l’île de la Tortue redevienne un lieu sûr, favorable et honorable où les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones peuvent s’épanouir. Quand nous y parviendrons, nous en bénéficierons tous.
 
Assez de vies volées. À la communauté de Sitansisk, dans ma circonscription, et à tout Fredericton, je dis: « ramenons Erin chez elle. Brisons le cycle du silence. »
 
Wela’lin. Merci.
Madame la présidente, j’ai mentionné certains éléments figurant dans le rapport, mais j’aimerais aussi revenir sur les propos de la députée de Saanich—Gulf Islands. Elle a dit qu’un revenu minimum garanti pouvait représenter un moyen de soutenir les femmes qui fuient des situations de violence familiale. Cela peut arriver à n’importe qui, partout au Canada, mais, comme nous le savons, cela touche de façon disproportionnée les femmes autochtones. Voilà un exemple d’une mesure transformatrice. Nous pouvons prendre des mesures progressives et envisager de financer des programmes à long terme, mais il faut vraiment que cela se fasse dans la société afin de créer un espace qui garantira aux femmes un lieu sûr où aller quand elles sont confrontées à des taux croissants de violence.
 
Le revenu minimum garanti n’est qu’un seul exemple. Le transport est un autre élément dont la députée a parlé, et c’est un élément essentiel. Voilà donc deux exemples. Encore une fois, si on lit le rapport, tout cela y figure.
Madame la présidente, je respecte le travail que fait ma collègue à la Chambre.

Si je me suis jointe au Parti libéral du Canada, c’est justement pour avoir ces discussions, pour faire entendre ma voix et faire raisonner celles des personnes touchées, non seulement de ma région ici, mais aussi d’un océan à l’autre, ainsi que celles d’organismes essentiels comme l’Association des femmes autochtones du Canada. Ces voix sont souvent exclues de ces processus, ce qui fait partie du racisme systémique qui perdure aujourd’hui. Nous continuons de l’observer.
 
Chose certaine, je n’ai pas utilisé le temps dont je disposais pour vanter le travail qui a été fait; nous nous engageons à agir maintenant. Je le constate en voyant les députés discuter ensemble. Nous sommes unis dans ce dossier. Je veux leur dire que le gouvernement dont je fais partie, selon les discussions que nous avons, est absolument déterminé à redresser les torts. Je ne serais pas ici si je ne le croyais pas.

Madame la présidente, j’ai le cœur brisé pour Chantel, sa famille et sa fille. Je vais participer à une marche demain avec des gens des collectivités locales à Fredericton. J’apporterai un petit T-shirt de bois jaune qui représente Chantel. Sa fille Gracie me l’a donné. Je pense souvent à elle lorsque nous avons des discussions. Je suis absolument scandalisée qu’elle n’ait pas encore obtenu justice. Je continuerai à faire entendre ma voix pour elle ainsi que pour sa fille, sa mère et sa famille dont la douleur est toujours aussi vive.