Discours prononcé le 20 février 2022 :
Madame la Présidente, étant donné le choc des mots et le piège à clics des médias sociaux dont nous sommes témoins concernant le conflit, je pense qu’il est nécessaire de rappeler à la Chambre et aux Canadiens que nous participons à ce débat critique en tant qu’êtres humains et que nous exprimons nos points de vue individuels. Il en va de même pour tous les gens qui commentent, qui analysent, qui interprètent et qui expriment leurs opinions. Nous sommes tous des êtres humains.
Nous sommes ici aujourd’hui pour nous en tenir aux faits et pour débattre du recours sans précédent à un outil du gouvernement pour régler une crise. La Loi sur les mesures d’urgence autorise à titre temporaire des mesures extraordinaires de sécurité en situation de crise nationale. Avec sa création, elle a accordé au gouvernement fédéral des pouvoirs plus limités et plus précis pour répondre à des urgences de sécurité de cinq types différents: les situations de crise nationale, les sinistres, les états d’urgence, les états de crise internationale et les états de guerre.
Pour illustrer mon appui au recours à la loi, je vais partager des faits de mon point de vue, qui vient d’un lieu d’amour et de profond respect pour le Canada, ce que j’espère également montrer.
J’ai fait des études en pensée critique et en éducation. J’ai eu le privilège d’étudier l’oppression dans la société à travers le prisme des Blancs. Je recommande à tous ceux qui s’identifient comme tels d’examiner ce privilège quand ils discutent de cette question. Puisque nous parlons de privilège, en tant que spécialiste de l’histoire militaire canadienne et internationale, je sais que nous devons également examiner le privilège que nous avons en tant que citoyens d’une démocratie qui dispose d’un système judiciaire en constante évolution conçu pour protéger les libertés individuelles. Nous représentons moins de 0,5 % de la population mondiale et nous sommes le deuxième plus grand pays au monde en superficie. Nous sommes vraiment parmi les personnes les plus privilégiées au monde. Nous ne devons jamais l’oublier.
Je mets au défi les Canadiens et les députés de remettre en question leur chambre d’écho, de s’interroger sur eux-mêmes et sur les privilèges qu’ils ont et de tenter de se mettre à la place de l’autre, même si c’est seulement pour étayer leurs arguments. Au moins, cela nous permet de repousser les suppositions, qui sont le véritable fléau de la société. En réalité, ce sont elles qui nous divisent.
De nombreux Canadiens se font induire en erreur. Ces Canadiens n’ont pas besoin que nous les encouragions ou que nous les maintenions dans une ignorance béate. En ce moment, le discours de beaucoup trop de Canadiens est haineux, réactionnaire et dangereux, et le discours politique qui attise les tensions est répréhensible. Nous assistons effectivement à une montée de l’extrémisme au Canada, et il incombe à chacun d’entre nous d’appeler la chose par son nom.
Comme l’a déclaré la commissaire sur le racisme systémique du Nouveau-Brunswick, continuer de prétendre que ce qui se passe depuis trois semaines ne sert pas de couverture à un extrémisme antigouvernemental et antipluraliste d’extrême droite grandissant ne fait rien pour lutter contre la haine croissante dans ce pays. Cet extrémisme a culminé par l’occupation de notre capitale nationale et d’autres lieux clés dans une tentative de coup d’État motivée par des raisons politiques. Cela nécessite une action décisive accompagnée de mesures ciblées, temporaires et proportionnelles.
C’est ce qui nous amène ici aujourd’hui. J’ai souvent entendu cette question à la Chambre pendant ce débat: comment en sommes-nous arrivés là? Cela a été clair dès le début, bien avant que les premiers colonisateurs du convoi n’arrivent à Ottawa, à Windsor, à Surrey ou à Coutts, que l’objectif était de perturber, de renverser en fait, le gouvernement. Ce n’est pas simplement une question d’exigences de santé publique liées à la COVID. On ne peut le nier, et ce n’est pas faire preuve d’intégrité que de dire que ces manifestations sont pacifiques.
Une manifestation ne peut être jugée pacifique à moins que chaque citoyen se sente en sécurité et protégé tout en y étant exposé. Ce n’est certainement pas ce qu’ont éprouvé des centaines de personnes au pays et d’habitants d’Ottawa. Des gens ont été harcelés et intimidés par des occupants illégaux simplement parce qu’ils portaient un masque. Des femmes ont été ciblées, le niveau sonore était insupportable, les halls des hôtels et des commerces ont été envahis, leur personnel terrorisé, et des commerces ont dû se résoudre à fermer leurs portes. Prétendre que tout cela était paisible était faux dès le départ.
Les conservateurs nous donnent l’impression qu’ils célèbrent ces occupations, augmentent volontairement le niveau d’intensité des débats, favorisent l’escalade des tensions, tout en affirmant le contraire. Semer la méfiance envers les institutions gouvernementales et les directives des autorités de la santé publique causent encore plus de tort. Dans ma collectivité, j’ai pris part à de multiples discussions sur la vaccination. J’encourage les citoyens à suivre les conseils de leurs fournisseurs de soins de santé, pas les politiciens, et certainement pas les voix les plus fortes dans la foule en colère.
Au cours des trois dernières semaines à Ottawa, les habitants ont perdu leur sentiment de sécurité. J’ai entendu de nombreux témoignages de résidants qui ont été visés par des paroles vitrioliques et des actes de harcèlement. Les membres de la communauté 2SLGBTQ+, des groupes racialisés et des femmes ont dû restreindre leurs déplacements, demeurer confinés chez eux ou, en dernier recours, quitter la ville parce qu’ils ne se sentaient plus en sécurité. Terroriser des gens pendant des semaines est un acte de violence, peu importe le mérite allégué des intentions d’origine.
Banaliser ces incidents et les événements qui ont mené à la situation actuelle est inacceptable, tout comme banaliser d’autre démonstration ou événement de plus grande envergure reposant sur la désobéissance civile, sous prétexte que les manifestants ont eux aussi des choses à dire et qu’ils se sentent en droit de s’exprimer de la manière de leur choix. Il y a de nombreuses leçons à retenir de ce qui se passe depuis quelques semaines.
Je me suis engagée auprès des habitants de ma circonscription à les consulter pour connaître leur opinion sur chaque enjeu. Je demande aux habitants de Frederiction de collaborer avec moi afin que je prenne le pouls des événements, que je les entende, que j’apprenne des leçons et que je prenne des décisions éclairées après mûre réflexion, en me fondant sur les données probantes.
Je sais que je ne suis pas la seule députée à avoir eu de nombreuses conversations et reçu des milliers de courriels, de lettres et d’appels téléphoniques à propos des événements récents. Beaucoup de gens veulent être entendus et je suis à l’écoute. Bien que beaucoup d’entre eux aient des questions et des préoccupations légitimes auxquelles je réponds de mon mieux, j’entends aussi des discours fallacieux et une recherche de boucs émissaires. Je vois une peur causée par la désinformation.
Beaucoup de gens ont besoin d’aide en ce moment. C’est absolument clair quand on voit le nombre de menaces que je reçois et que mon personnel et tous les intéressés doivent subir. On m’a dit que ma famille était aussi menacée, et que si je votais d’une façon qui déplaît à certains, je serais mieux de prendre garde. Des menaces ont été adressées au premier ministre et à tous les députés libéraux, certaines décorées de balles de fusil et de noeuds coulants. Ça suffit.
Voilà comment je sais qu’on n’a pas affaire à des manifestants pacifiques. Voilà comment je sais que nous avons réellement un grave problème au Canada.
J’ai éprouvé de la colère. Des gens m’ont manqué de respect et traitée injustement, et je me suis défendue. J’ai lutté pour la justice et pour de nombreuses causes, en agissant toujours conformément à la loi et à mes droits et avec une solide compréhension de la Charte. Je suis aussi allée plus loin quand j’ai eu l’impression que cela ne suffisait pas, que le système était défaillant et qu’il fallait le changer. Je me suis organisée et j’ai été candidate aux élections, ce qui est un immense privilège. Tout cela exige énormément de travail, de dévouement et de sacrifices et demande beaucoup d’une personne, mais c’est le plus grand des honneurs. Grâce aux lois sur le financement politique, la Chambre regroupe des Canadiens ordinaires qui ont la confiance et le respect des électeurs.
Ici au Canada, le droit de vote est un droit sacré et un devoir, et je me fais un point d’honneur, chaque jour que je suis à la Chambre, de protéger ce droit. Ceux qui ne sont pas de mon avis ne peuvent pas se réclamer des lois du pays ni du drapeau national — qui est loin d’avoir été traité avec tous les égards qui lui sont dus — pour paralyser les infrastructures essentielles, perturber illégalement la vie de leurs concitoyens et compromettre la sécurité publique. Nous ne vivons pas dans une dictature ni dans un régime tyrannique. Il faut arrêter de propager des faussetés et de provoquer son prochain. Il faut mettre fin à cette escroquerie de même qu’au harcèlement et aux menaces. Il est devenu évident, après trois semaines d’infiltration concertée par des suprémacistes blancs d’extrême droite financés par des sources étrangères, que la situation est devenue assez urgente pour justifier la mise en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence.
Les députés conservateurs estiment que ce n’est pas nécessaire, que les conditions nécessaires ne sont pas réunies, que d’autres options s’offrent encore aux autorités et qu’il faut plutôt tenter de désamorcer la situation. Sur ce point-là, je suis d’accord avec eux — mais seulement sur celui-là. Il faut trouver le moyen de désamorcer les tensions, et c’est ce que font actuellement les forces de l’ordre. Or, il a fallu la Loi sur les mesures d’urgence pour qu’elles puissent changer de tactique et intervenir.
Le chef intérimaire de la police d’Ottawa a déclaré que l’on n’aurait pas pu faire ce qui a été fait sans recourir à la loi. La désescalade a empêché le tourisme de manifestation du week-end de s’intensifier à nouveau à Ottawa. La désescalade a permis d’arrêter le flux incessant de fournitures et de fonds provenant des partisans du siège, qui riaient en coulisses. Le compromis a été de mise depuis le début, et les comparaisons avec la façon dont les manifestants de différentes tendances ont été traités dans les heures qui ont suivi leur rassemblement me suggèrent, en ce qui concerne les forces de l’ordre et le gouvernement, que nous avons été plus que tolérants, peut-être de façon injustifiée. J’appuierais une enquête nationale sur la réponse initiale de la police.
Je suis née et j’ai grandi dans une ville militaire, avec des racines militaires et un profond respect pour les Forces armées canadiennes. J’ai également été élevée dans le respect des hommes et des femmes en uniforme de police qui servent et protègent nos collectivités. Cela dit, après avoir regardé des vidéos de policiers en uniforme qui disent avoir l’impression d’être en guerre, avec une arme de service à la hanche, ou qui se congratulent, sourient pour des égoportraits, utilisent les voitures de patrouille comme des manèges de carnaval et ferment les yeux sur les infractions aux règlements et au Code criminel, ou encore lorsque des voisins de ma collectivité militaire locale me menacent directement, je sais que nous avons un très grave problème.
Je suis blanche. Je ne peux qu’imaginer ce que certains Canadiens qui ont manifesté dans leur vie contre l’oppression doivent ressentir en voyant comment les manifestants blancs ont été confortablement traités au cours des dernières semaines. Nous avons été témoins de l’insolence de ceux qui font la fête dans des spas, avec leurs barbecues et leurs feux d’artifice, qui font des feux de rue ou qui stockent du diésel et du propane près de la cité parlementaire. Ils invoquent l’oppression, prétendent que nous ne vivons pas dans une société libre et affirment qu’il n’y avait aucun autre recours pour faire entendre leurs griefs. Cela suffit. Il faut que cela cesse, et c’est ce que le gouvernement s’est engagé à faire.
Monsieur le Président, dans un protocole d’entente qui a été largement diffusé, les participants à ce siège ont établi très clairement leurs objectifs, leurs conditions et leurs exigences. Ils voulaient effectivement qu’un comité spécial, dont les membres seraient nommés par Canada Unity, renverse le gouvernement fédéral avec l’aide de la gouverneure générale et du Sénat. Je crois effectivement que c’était l’objectif déclaré.
Madame la Présidente, je remercie mon collègue de sa question.
On ne devrait pas s’en étonner, mais je suis souvent en désaccord avec le premier ministre de ma province dans de nombreux dossiers. Compte tenu des choses qu’il a dites, plus particulièrement dans la dernière année, je ne suis guère étonnée qu’il résiste à cette mesure. Je ne suis pas du tout surprise, et je ne partage pas son avis.
Madame la Présidente, je viens du milieu de l’éducation. L’éducation est la clé. L’éducation en matière de la lutte contre le racisme est essentielle. Nous devons nous attaquer à ces réalités.
Compte tenu des mesures progressistes qui ont été adoptées par le Canada dans les deux dernières années, nous ne devrions pas être surpris de voir une telle résistance face à ce progressisme. Nous devons continuer d’avancer, d’avoir ces conversations, de dénoncer les gestes haineux dont nous sommes témoins et de veiller à ce que de tels comportements ne soient pas tolérés dans notre société.
Nous devons simplement croire en quelque chose de mieux. Je garde espoir, malgré ce que nous avons vu dans les dernières semaines. Je sais que les Canadiens peuvent faire mieux, tout comme les députés de la Chambre.
Madame la Présidente, ma collègue l’a bien dit. Comment poursuivre sur cette lancée? Nous ne pouvons pas oublier. J’ai parlé dans mon discours des leçons que nous devons tirer de la situation et de toute la pandémie. Les profondes fissures, les inégalités, de notre société ont vraiment été exposées.
Je sais que la députée de Winnipeg-Centre a beaucoup parlé des inégalités sur le plan de la richesse, en particulier de la pauvreté. Il y a tant de dossiers auxquels nous devons nous attaquer, mais l’important est de le faire ensemble. Voilà l’unité que je veux voir à la Chambre.