Madame la Présidente, c’est important pour moi d’avoir l’occasion de prendre la parole au sujet du projet de loi C-8 depuis le territoire non cédé des Wolastoqiyik.
 
Qu’est-ce qu’une nation et que signifie être citoyen canadien? Le projet de loi C-8 est une loi modifiant la Loi sur la citoyenneté. Il modifierait le serment de citoyenneté prononcé par les nouveaux arrivants au Canada afin d’inclure une reconnaissance et une affirmation des droits issus des traités des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
 
Comme je l’ai souvent mentionné avec fierté à la Chambre, avant de me lancer en politique fédérale, j’étais enseignante. Quand je pense à ce projet de loi et au serment de citoyenneté, je pense à ce qu’ils nous enseignent au sujet de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être.
 
À l’époque où j’étais coordonnatrice à la transition culturelle auprès des jeunes Autochtones à l’école secondaire de Fredericton, je contribuais à l’administration d’un centre éducatif autochtone. Mon rôle était de m’assurer que les élèves étaient bien accueillis et qu’on leur donnait le soutien, les outils, le matériel et les ressources dont ils avaient besoin pour réussir, ce qui n’est pas toujours évident dans un établissement de grande taille.
 
J’ai eu le plaisir de travailler en étroite collaboration avec le département d’anglais langue seconde pour aider les étudiants nouvellement arrivés, qui se trouvaient dans la même aile. Mon objectif était de faciliter l’apprentissage de la culture et du patrimoine autochtones chez mes étudiants ainsi que chez le reste des étudiants et l’ensemble du personnel. Je créais des babillards sur lesquels j’affichais de l’information et j’attirais l’attention sur des dirigeants, des acteurs, des artistes et des gardiens des langues autochtones exceptionnels. J’allais aussi dans des classes et j’organisais des colloques de perfectionnement professionnel.
 
Il n’a pas fallu longtemps pour que les enseignants du département d’anglais langue seconde me demandent de venir parler à leurs étudiants, qui étaient très curieux de connaître mon rôle. J’ai remarqué que le programme « Bienvenue au Canada » que les professeurs d’anglais langue seconde avaient reçu représentait les peuples autochtones par un totem, un tipi et un inukshuk. Mis à part ces images symboliques superficielles, il n’y avait aucune substance, aucune discussion sur les droits, les traités de paix et d’amitié sur notre territoire et les différentes nations abénaquises sur la côte Est ni aucune mention des 15 communautés du Nouveau-Brunswick, soit neuf communautés micmaques et six communautés wolastoqiyik.

Nous avons commencé à organiser, parfois chez eux, parfois chez nous, des repas-partage où les mets traditionnels étaient à l’honneur. Au-delà de l’échange culturel, j’ai remarqué que les jeunes créaient des liens entre eux et qu’ils éprouvaient de la fierté à faire partie de la mosaïque canadienne. Notre diversité nous rendait plus forts, et il était beau d’être témoins du développement d’un sentiment d’appartenance à la communauté. Ces élèves avaient plus en commun que ce qu’ils croyaient au départ. Bon nombre faisaient l’objet de préjugés, de discrimination et de racisme. Je me suis également aperçue que les nouveaux arrivants commençaient à s’ouvrir davantage et à parler de leur pays d’origine et de leur expérience en tant que réfugiés. Ils s’identifiaient à l’histoire de colonialisme qu’ils découvraient et ils étaient emballés par la résurgence culturelle autochtone qui avait cours dans les nations de la région, en raison de l’espoir qu’elle suscitait.
 
Il s’agit d’une rare occasion de pouvoir combiner notre désir d’accueillir les nouveaux arrivants et celui de reconnaître franchement la souveraineté des nations autochtones. C’est un travail important que nous entreprenons.
 
Nous ne pouvons pas passer sous silence la raison pour laquelle nous sommes ici ce soir. C’est pour discuter du projet de loi C-8 et faire en sorte qu’il soit rapidement intégré à la législation canadienne. Toutefois, ce sentiment d’urgence provient de la découverte horrible des restes de 215 enfants à l’ancien pensionnat de Kamloops. Il n’aurait pas fallu attendre la révélation récente de ces actes répréhensibles pour agir rapidement. Nous connaissons les répercussions qu’ont eues les pensionnats dans ce pays depuis des décennies, du moins, ceux qui ont pris la peine d’écouter les connaissent. Les enfants ont mis au jour la vérité. Personne ne peut dire qu’il n’était pas au courant. Les nouveaux arrivants au Canada devront aussi faire face à cette réalité, par respect pour les premiers habitants de ce pays, ceux qui sont encore là et ceux qui ne sont jamais rentrés chez eux.
 
Dans l’appel à l’action no 94, le serment se lit comme suit:
 
Je jure (ou affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la [r]eine Elizabeth Deux, [r]eine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada, y compris les traités conclus avec les peuples autochtones, et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.
 
Le respect de ce serment nécessite une discussion approfondie sur le colonialisme, la Couronne britannique, le rôle de celle-ci dans les atrocités commises dans les pensionnats, l’oppression constante, ainsi que les sommes et les terres de la Couronne placées en fiducie par Sa Majesté la reine au nom des peuples autochtones.
 
Pour ce qui est d’observer fidèlement les lois du Canada, y compris les traités, il y a encore beaucoup à faire. Les Canadiens ne comprennent pas vraiment les relations découlant des traités, comme on l’a tristement constaté pendant le conflit sur la pêche des Micmacs.
 
Alors que nous nous apprêtons, je l’espère, à adopter à l’unanimité le projet de loi C-8, qui met en œuvre l’appel à l’action no 94 de la Commission de vérité et réconciliation, l’appel à l’action no 93 stagne depuis juin 2018, donc depuis le moment où le gouvernement fédéral a affirmé que la nouvelle version des trousses d’information à l’intention des nouveaux arrivants était presque prête. Pourrions-nous savoir ce qu’il advient de ce document? Pourrions-nous savoir où en est la mise en œuvre des appels à l’action? Les survivants, les descendants de colons et les nouveaux arrivants ont besoin que le gouvernement leur fournisse ces renseignements.

Le gouvernement libéral a concrétisé, en moyenne, seulement deux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation par année depuis 2015. À ce rythme-là, il faudra attendre jusqu’en 2062 pour qu’on ait donné suite aux 94 appels à l’action. Mes enfants auront probablement eux-mêmes des enfants à ce moment-là. On fait des pas dans la bonne direction, c’est vrai. J’aimerais toutefois présenter les réflexions d’une personne de ma circonscription.
 
Voici ce qu’on a dit: « J’espère que les gens liront enfin les recommandations. Le fait qu’on ait trouvé d’autres corps humains amènera peut-être les gens à se rendre compte que chacune de ces recommandations porte sur un problème particulier. Ce devrait être au gouvernement d’expliquer pourquoi il n’adopte pas certaines recommandations et non à nous de féliciter le gouvernement d’avoir choisi les recommandations qu’il est prêt à mettre en œuvre, comme c’est le cas en ce moment. »
 
J’aime bien ces sages paroles. Les appels à l’action sont un ensemble de réformes qui tracent la voie vers la réconciliation. Nous devons franchir chacune de ces étapes, mettre en œuvre chacune de ces recommandations. Au lieu de féliciter le gouvernement d’avoir choisi la 11e et la 12e des recommandations qu’il a décidé de mettre en œuvre sur une période de six ans, nous devons voir des rapports d’étape sur la mise en œuvre et exiger plus de reddition de comptes lorsque les efforts du gouvernement et nos efforts à tous ne suffisent pas.
 
J’aimerais lire aujourd’hui les recommandations nos 71 à 76, puisqu’elles sont directement liées aux enfants disparus de Kamloops et à ceux qui restent invisibles partout au pays. Les appels à l’action sous la rubrique « Enfants disparus et renseignements sur l’inhumation » se lisent ainsi:
 
71. Nous demandons à tous les coroners en chef et les bureaux de l’état civil de chaque province et territoire qui n’ont pas fourni à la Commission de vérité et réconciliation leurs dossiers sur le décès d’enfants autochtones dont les autorités des pensionnats avaient la garde de mettre ces documents à la disposition du Centre national pour la vérité et réconciliation.
 
72. Nous demandons au gouvernement fédéral de mettre suffisamment de ressources à la disposition du Centre national pour la vérité et réconciliation pour lui permettre de tenir à jour le registre national de décès des élèves de pensionnats établi par la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
 
73. Nous demandons au gouvernement fédéral de travailler de concert avec l’Église, les collectivités autochtones et les anciens élèves des pensionnats afin d’établir et de tenir à jour un registre en ligne des cimetières de ces pensionnats, et, dans la mesure du possible, de tracer des cartes montrant l’emplacement où reposent les élèves décédés.
 
74. Nous demandons au gouvernement fédéral de travailler avec l’Église et les dirigeants communautaires autochtones pour informer les familles des enfants qui sont décédés dans les pensionnats du lieu de sépulture de ces enfants, pour répondre au souhait de ces familles de tenir des cérémonies et des événements commémoratifs appropriés et pour procéder, sur demande, à la réinhumation des enfants dans leurs collectivités d’origine.
 
75. Nous demandons au gouvernement fédéral de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux de même qu’avec les administrations municipales, l’Église, les collectivités autochtones, les anciens élèves des pensionnats et les propriétaires fonciers actuels pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies et des procédures qui permettront de repérer, de documenter, d’entretenir, de commémorer et de protéger les cimetières des pensionnats ou d’autres sites où des enfants qui fréquentaient ces pensionnats ont été inhumés. Le tout doit englober la tenue de cérémonies et d’événements commémoratifs appropriés pour honorer la mémoire des enfants décédés.
 
76. Nous demandons aux parties concernées par le travail de documentation, d’entretien, de commémoration, et de protection des cimetières des pensionnats d’adopter des stratégies en conformité avec les principes suivants:
 
i. la collectivité autochtone la plus touchée doit diriger l’élaboration de ces stratégies;
 
ii. de l’information doit être demandée aux survivants des pensionnats et aux autres détenteurs de connaissances dans le cadre de l’élaboration de ces stratégies;
 
iii. les protocoles autochtones doivent être respectés avant que toute inspection technique ou enquête potentiellement envahissante puisse être effectuée sur les lieux d’un cimetière.
 
Il faut aussi fournir un espace pour pleurer. Une tristesse collective a été ressentie partout au pays. C’est la vérité qui vient avant la réconciliation. Il fallait en arriver là pour réveiller ceux qui dormaient encore. Maintenant que nous savons, nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas savoir. Le fait d’incorporer la reconnaissance des peuples autochtones dans le serment de citoyenneté des nouveaux arrivants nous dicte de ne jamais l’oublier.
 
J’appuie le projet de loi C-8 et je demande aux sénateurs d’en faire autant. Agissons comme il se doit.
Madame la Présidente, je remercie mon collègue de souligner à quel point il est parfois difficile de trouver un juste équilibre entre le travail et la vie personnelle. Mes deux enfants sont au bureau avec moi ce soir. Mon plus vieux est en troisième année, et la nouvelle l’a vraiment secoué, tout comme ses condisciples et les membres de la communauté. Il est membre de la Première Nation d’Oromocto. Les membres ont formé un cœur avec des chaussures d’enfants qui est illuminé la nuit. Il est difficile de passer à côté de cette installation en voiture, difficile d’avoir ces conversations avec nos enfants.
 
Mon fils avait déjà entendu parler des pensionnats autochtones, parce que sa mère tient vivement à ce qu’il soit fier de sa culture et qu’il sache à quel point ses ancêtres ont connu une vie difficile. C’est une question extrêmement sensible pour moi. Je suis ébranlée, et je fais ce que je peux pour tenir ces conversations difficiles. Il y a des livres d’histoire que l’on peut lire et qui conviennent aux enfants. Si quelqu’un souhaite communiquer avec moi, je peux faire des recommandations de lecture.
Madame la Présidente, il est vrai que mon fils est adorable.
 
Je respecte la nation québécoise. Je respecte sa souveraineté et sa culture distincte, et il est important d’inclure ces questions dans les discussions. Il s’agit de respecter l’histoire, le patrimoine et la culture de tous et d’accueillir des immigrants au Canada pour bâtir une nation où nous aurons tous un véritable sentiment d’appartenance, où nous nous sentirons inclus et représentés. Je suis tout à fait disposée à travailler avec les députés du Bloc pour arriver à des amendements qui leur conviennent.

Madame la Présidente, j’avais considéré ces appels à l’action avec un peu plus de cynisme, mais plus j’y ai réfléchi, plus je me suis rendu compte de l’importance d’inculquer cet apprentissage crucial dès le départ, dès l’arrivée dans un nouveau pays, au Canada, et d’expliquer ce que cela signifie. Le fait de parler des premiers habitants au tout début du processus ouvre la voie à ce qui pourrait être un avenir de réconciliation pour tous. C’est une étape importante que nous ne pouvons pas banaliser, selon moi. Le projet de loi C-8 est important, et je suis fière de l’appuyer.