Madame la Présidente, j’aimerais commencer par reconnaître que je parle aujourd’hui depuis le territoire non cédé de Wolastoqiyik. J’ai déjà parlé à la Chambre de l’importance d’une telle reconnaissance et, surtout, des mesures qui doivent l’accompagner.
Il n’y a jamais eu de moment plus important pour le souligner que durant notre débat sur le projet de loi C-15, une loi visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ici au Canada, dans un pays colonial, où les terres ont été extorquées. En plus des menaces et de la force, des efforts ont été déployés pour exterminer et ensevelir les peuples originaires de cette terre. Ces efforts ont échoué. Au lieu de cela, ils ont semé des graines, et ce que nous voyons aujourd’hui est une récupération, l’avènement d’une nouvelle ère. Le temps des réparations est venu.
Bon nombre de mes collègues à la Chambre savent que mes enfants sont autochtones. J’ai également travaillé en étroite collaboration avec des centaines de jeunes Autochtones en tant qu’enseignante. Ils ont constamment influencé mon travail. Lorsque je pense à voter sur ce projet de loi, je me demande à quoi ressemblera leur monde dans cinq ans, dans dix ans et pour les générations suivantes, avec ou sans l’adoption du projet de loi C-15.
Le projet de loi C-15 introduit dans le droit canadien la notion de plan d’action national pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, avec des mécanismes de rapport annuel. Il est important de noter que les détails de ces mesures ne sont pas précisés. Cela a entraîné de l’incertitude et la manifestation d’une méfiance bien légitime à l’égard du gouvernement.
Ce que le projet de loi C-15 fait bien, c’est de présenter un préambule robuste avec un langage ambitieux et franchement incroyable. Il comprend des énoncés de valeurs qui reconnaissent la discrimination systémique, et maintenant le racisme, grâce à un amendement important. Il reconnaît l’autodétermination des peuples autochtones, y compris la reconnaissance de leurs systèmes juridiques. Il dit même que « le gouvernement du Canada rejette toute forme de colonialisme et s’est engagé à promouvoir des relations qui soient fondées sur la bonne foi et sur les principes de justice, de démocratie, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de respect des droits de la personne ».
Peut-on prendre ces mots au pied de la lettre, ou de bonne foi, comme le proclame le projet de loi? Les critiques du projet de loi C-15 sont nuancées. Le problème le plus évident est que la notion de bonne foi elle-même repose sur un fondement fragile. Pour un projet de loi qui consacre la notion de consentement libre, préalable et éclairé, la consultation fait cruellement défaut. Je sais que c’est un point contesté, mais je dois dire que je crois qu’elle a fait défaut.
Il ne suffit pas d’organiser des réunions à huis clos avec des organismes ou des organisations nationales. Les titulaires de droits individuels ont le droit d’être entendus et d’influencer une loi dont les conséquences sont si importantes. Tous les Canadiens, les Québécois et les peuples autochtones de ce pays doivent comprendre la déclaration et ce que cela signifie vraiment de l’affirmer en tant qu’instrument international universel des droits de la personne.
Un problème plus complexe que d’aucuns voient dans ce projet de loi est que les peuples autochtones sont fatigués de la manipulation. Les droits des autochtones sont inhérents. Les gens naissent avec ces droits et personne ne peut les leur enlever. Ces droits existent depuis des temps immémoriaux, et pourtant l’histoire canadienne présente les choses comme si les peuples autochtones avaient reçu ces droits avec l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est une belle idée, mais elle passe à côté de centaines d’années de colonialisme et d’abus ancrés dans la doctrine de la découverte. Les notions selon lesquelles la Couronne possède la souveraineté sur les peuples autochtones, que les lois et traditions juridiques autochtones n’ont pas leur place et que la Couronne détient le titre ultime sur les terres détenues en fiducie sous-tendent l’ensemble du droit canadien. Elles sont ancrées dans la Charte canadienne et elles ont imposé aux peuples et aux nations autochtones le fardeau d’établir leurs droits devant les tribunaux canadiens.
Le projet de loi C-15 ne parvient pas non plus à consacrer une approche fondée sur les distinctions pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada et se présente plutôt comme une loi qui met tous les autochtones dans le même panier et fait fi de l’incroyable diversité des nations autochtones. Il est possible que le projet de loi C 15 soit un outil dans la trousse à outils de futurs procès, mais je me demande ce que l’avenir réserve au Canada et aux nations autochtones. Nous préparons-nous à des années de batailles juridiques coûteuses? Demandons-nous une fois de plus aux peuples autochtones d’assumer le fardeau de la preuve dans la protection de leurs droits inhérents collectifs?
Qu’adviendra-t-il du différend sur la pêche des Mi’kmaq, dont la nouvelle saison doit commencer en juin? Les pêcheurs et leurs dirigeants ont dû faire appel aux Nations Unies pour être protégés contre la violence et l’intimidation racistes.
L’adoption du projet de loi C-15 empêchera-t-elle que cela se produise? Rappellera-t-elle aux pêcheurs non autochtones leurs obligations en vertu des traités, l’histoire de leur installation à Unama’ki? Si l’on se fie à la loi de la Colombie-Britannique sur la Déclaration des Nations unies, malheureusement, je ne pense pas que ce sera le cas.
J’aimerais prendre un instant pour parler de mon parcours tout au long de l’étude de ce projet de loi. J’ai d’abord rencontré le Grand Conseil Wolastoqiyik, sous la direction du grand chef Spasaqsit Possesom et des grands-mères Wolastoqiyik. Mon étape suivante a été de rencontrer l’Alliance abénaquise pour la paix et l’amitié.
J’ai pris connaissance de nombreuses analyses et interprétations. J’ai rencontré ma collègue de Winnipeg-Centre pour en savoir plus sur le travail de Romeo Saganash dans le cadre du projet de loi C-262. J’ai rencontré des dirigeants locaux. J’ai rencontré des intervenants du centre d’amitié local. J’ai rencontré l’Association des Iroquois et des nations alliées avec ma collègue de Vancouver-Granville. J’ai rencontré l’Assemblée des Premières Nations et le personnel du bureau du chef Bellegarde. J’ai écouté et j’ai appris.
Ma dernière rencontre a été encore une fois avec des grands-mères wolastoqiyik, des universitaires et des chefs de file de ma circonscription. J’encourage tous les membres de la Chambre à solliciter aussi des conseils de cette nature.
Ces voix critiques de Fredericton, mes mentors et mes alliés les plus fiables sont d’avis que le projet de loi C-15 devrait être rejeté à l’étape de la troisième lecture. Ce n’est pas facile pour moi. Le Parti vert du Canada souscrit à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et nous avons fait campagne pour lui donner force de loi. Cependant, ce n’est pas ce que le projet de loi C-15 accomplirait.
On me dit de célébrer le projet de loi C-15, car il établit les normes minimales en matière de dignité et de droits de la personne pour les Autochtones. Or, les Autochtones possèdent déjà ces droits: des droits garantis par la Charte. Ils ont déjà leur titre de propriété sur leurs terres et le droit de chasser et de pêcher pour assurer leur subsistance. Ils jouissent déjà du droit à l’autodétermination. Ce sont les Canadiens qui ont du mal à respecter ces droits, et le Canada ne les fait pas respecter.
En tant que nation, nous avons la responsabilité morale, légale et fiduciaire de respecter nos lois. Cependant, nous enfreignons ces lois afin de dominer les nations autochtones, et il reste beaucoup à faire pour démanteler ces systèmes et ces structures d’oppression qui nous ont menés là. Il n’y a pas de solution facile, comme adopter le projet de loi C-15 pour cocher la case de la réconciliation.
Nous avions l’occasion rêvée de renouveler les relations avec les peuples autochtones dans le respect et la coopération. Pour y arriver, il fallait mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones avec clarté. C’est ainsi que le Canada et les nations autochtones souveraines seraient capables de poursuivre leur chemin chacun dans son canoë, comme nous l’enseigne la ceinture wampum à deux rangs.
Nous sommes en 2021, et il est temps de regarder la réalité en face. Nous ne pourrons pas nous réconcilier si nous ne sommes jamais conciliants. Nous ne pourrons que nous employer à réparer les dommages. Une partie essentielle de ces réparations consiste à respecter le premier traité qui nous régit tous en tant qu’humains: le traité avec la terre et avec notre planète. Nous oublions trop souvent l’interdépendance des êtres vivants, de même que notre rôle et notre responsabilité dans la préservation de la terre où nous habitons, dans l’intérêt des générations futures. Nous assistons aujourd’hui à une consommation effrénée des ressources.
Le projet de loi comporte un élément qui tient compte du développement durable, mais nous devons en réévaluer le sens dans le cours de la discussion actuelle. Quelle est la valeur de la protection des forêts anciennes, de la sécurité alimentaire et de la sécurité culturelle? Comment allons-nous évaluer le degré de réussite du projet de loi C-15? Trop de questions restent sans réponse.
L’étude du projet de loi C-15 a été riche en émotions. Je suis consciente de l’immense privilège que j’ai, en tant que personne non autochtone, de participer à cette étude. Il a été difficile d’être témoin des luttes intestines et des divisions entre des personnes que j’admire, entre certains de mes héros personnels. Je précise qu’il est tout aussi correct d’appuyer le projet de loi que de le rejeter. Ce qui est inacceptable, c’est d’ignorer notre rôle et nos responsabilités en tant que signataires de traités et de nous manquer mutuellement de respect. C’est là un héritage qui se perpétue, indépendamment du projet de loi.
Enfin, que le projet de loi C-15 reçoive ou non la sanction royale ne déterminera pas l’avenir de mes enfants. Ils sont wolastoqiyik. Ils sont du peuple du beau et généreux fleuve. Ils sont enracinés dans cette terre. Ils savent qui ils sont, et ils connaissent leurs droits.