Madame la Présidente, je prends la parole aujourd’hui pour m’adresser à la Chambre au sujet du projet de loi C‑56, et plus particulièrement des modifications qu’il apporte à la Loi sur la concurrence. Il s’agit du régime qui permet au Bureau de la concurrence de protéger notre économie contre les acteurs et les actes qui feraient augmenter indûment et artificiellement les prix et réduiraient le choix de produits pour les consommateurs. Le renforcement du Bureau de la concurrence est synonyme d’un marché canadien plus innovant, plus efficace et, surtout, plus abordable. C’est particulièrement vrai dans ma province, le Nouveau‑Brunswick, où les revenus des ménages sont en moyenne plus faibles que dans le reste du pays, et nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour faire baisser le prix des aliments pour les Canadiens et leurs familles.
La série de propositions contenues dans le projet de loi C‑56 peut faire partie de la réponse à une crise mondiale de l’inflation qui fait grimper le coût des produits de première nécessité au Canada, mais il s’agit également d’un ensemble de mesures attendues depuis longtemps qui permettraient de mieux harmoniser notre cadre en matière de concurrence avec les pratiques exemplaires à l’échelle internationale.
Le projet de loi prévoit trois modifications importantes à la Loi sur la concurrence: l’abolition de l’exception relative aux gains d’efficacité dans l’examen des fusions, la possibilité d’exiger des renseignements au cours d’une étude de marché, et la possibilité d’examiner les accords entre acteurs non concurrents qui sont conçus pour réduire la concurrence.
L’exception relative aux gains en efficience, une défense qui permet aux fusions anticoncurrentielles de résister à une contestation si les gains organisationnels doivent surpasser le préjudice concurrentiel, est unique parmi les régimes de concurrence avancés. Elle permet à une fusion d’avoir lieu, même lorsqu’on sait très bien que les consommateurs pourraient payer des prix plus élevés, pour aider les entreprises visées par la transaction à réaliser des économies.
La Commission européenne, l’une des autorités en matière de concurrence les plus actives et visibles, ne traite pas les gains en efficience de cette manière. Nos homologues européens considèrent les gains en efficience comme pertinents seulement s’ils sont susceptibles de profiter aux consommateurs; ils ne s’appuient jamais sur les gains organisationnels pour justifier une fusion anticoncurrentielle.
En Australie, la loi n’inclut pas les gains en efficience dans la liste des facteurs à prendre en compte dans l’examen de possibles fusions. En fait, la Commission australienne de la concurrence et de la consommation a publié des lignes directrices indiquant qu’elle n’autorise pas de fusions anticoncurrentielles même si la nouvelle entité ainsi créée devait bénéficier d’une structure moins coûteuse.
Bien sûr, compte tenu de notre proximité, on établit souvent des comparaisons avec les États‑Unis. Les tribunaux de notre pays voisin ont expressément déclaré que les possibles gains organisationnels entraînés par un fusionnement ne peuvent pas être utilisés comme argument pour justifier une fusion anticoncurrentielle. Les gains en efficience doivent être favorables à la concurrence et se refléter d’une certaine façon sur le marché, et pas seulement dans les entreprises qui fusionnent.
À cet égard, le Canada est déphasé, ce qui est parfaitement illustré par le fait que la commission fédérale du commerce des États‑Unis a contesté avec succès une fusion au Canada, ce que notre propre Bureau de la concurrence n’avait pas pu faire en raison de prétendus gains en efficience. Par exemple, lorsque Superior Plus Corp. allait faire l’acquisition de Canexus en 2016, le Bureau a constaté que la concurrence en souffrirait sensiblement dans plusieurs marchés. Il prévoyait une diminution de la concurrence et une hausse des prix pour les consommateurs. Néanmoins, à cause de la disposition de la Loi sur la concurrence, le Bureau a dû s’abstenir de contester la transaction, car il pouvait être démontré que les gains en efficience dépassaient les effets anticoncurrentiels.
Sans de telles contraintes, la Federal Trade Commission des États‑Unis a pu, elle, contester l’acquisition en raison de la forte concentration qu’elle aurait créée dans le marché du chlorate de sodium. La commission a également découvert des éléments de preuve qui indiquaient que l’acquéreur entendait restreindre la production après l’acquisition, qu’il lui serait plus facile de s’entendre avec ses compétiteurs et qu’il voulait empêcher Canexus d’offrir une solution de rechange plus économique.
Sans même parler de l’importante question de la réalisation des économies d’échelle toujours promises, il faut qu’il soit clair que cet argument peut avoir des effets néfastes sur la concurrence. Il est temps que le Canada rattrape le reste de la planète et qu’il priorise la concurrence.
Je voudrais maintenant parler du pouvoir des études de marché. Le cadre pour les études de marché que nous utilisons présentement est également dépassé. Le bureau peut étudier de façon périodique les secteurs d’activités afin de mieux comprendre la dynamique de la concurrence et de faire des recommandations au gouvernement, comme il l’a fait en juin dans le cadre de son étude de marché sur le secteur de l’épicerie de détail. Cependant, le bureau n’a pas le pouvoir d’obliger les acteurs à fournir des renseignements et il doit s’en remettre à leur bon vouloir, aux données publiques et à l’information qu’il a déjà en main.
Encore une fois, ce n’est pas le cas dans d’autres pays comparables au nôtre. Aux États‑Unis, la Commission fédérale du commerce a le pouvoir d’exiger un rapport spécial obligatoire qui répond à des questions précises sur les activités, la conduite, les pratiques, et la gestion d’une organisation, ainsi que sur ses relations avec d’autres organisations. La Commission européenne a le pouvoir de réaliser des études sur certains secteurs ou sur des accords conclus entre différents secteurs, de demander des renseignements et d’effectuer des inspections. La Commission australienne de la concurrence et de la consommation peut également demander au trésorier de mener une enquête sur les prix, ce qui permet aux autorités d’accéder à des renseignements sur un large éventail de sujets.
Dans tous ces cas, de lourdes sanctions sont prévues pour les entreprises qui refusent de collaborer, comme la possibilité pour les autorités de mener une étude beaucoup plus large et l’imposition d’amendes calculées en fonction du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. En outre, ces études se sont révélées un outil précieux pour comprendre le marché. Face au nouveau problème des acquisitions en série par les grandes plateformes technologiques, la Federal Trade Commission des États‑Unis a lancé sa propre étude du marché afin d’exiger des renseignements sur ces fusions.
Dans le même ordre d’idées, l’organisme gouvernemental de surveillance de la concurrence au Royaume‑Uni a terminé, en 2022, une étude de marché portant sur l’industrie de la musique et de la diffusion en continu qui visait à mieux comprendre pourquoi les revenus avaient chuté de 40 % en 20 ans. Le code de l’alimentation au détail qui existe actuellement au Royaume‑Uni découle aussi directement de recommandations que l’organisme de surveillance de la concurrence a formulées à la suite d’une étude de marché approfondie. Pour sa part, le gouvernement de l’Australie a ordonné la tenue d’une enquête sur les prix de l’électricité lorsque ceux-ci ont monté en flèche; l’enquête a mené à une série de recommandations hautement efficaces à l’intention du gouvernement, et bon nombre de ces recommandations visaient directement à accroître la concurrence.
Depuis 2007, le Canada a mené cinq études de marché, consacrées aux sujets suivants: le secteur de l’épicerie de détail, les services de santé numériques, les technologies financières, les professions autoréglementées et le secteur des médicaments génériques. Il n’est pas difficile d’imaginer que ces études auraient pu être beaucoup plus fructueuses si le Bureau de la concurrence avait le pouvoir d’obliger des entreprises choisies à lui fournir des renseignements.
Enfin, la troisième réforme prévue dans ce projet de loi vise les accords conclus par des parties qui ne sont pas des concurrents afin de limiter la compétition. On appelle parfois cela une « collaboration verticale ». Certains ont indiqué que cela pose problème, car un propriétaire d’immeuble commercial peut conclure un accord avec un supermarché locataire pour imposer des restrictions qui empêchent des épiciers concurrents de s’établir dans l’immeuble, ce qui limite la concurrence. La Loi sur la concurrence comprend certaines dispositions qui peuvent s’appliquer certains cas de collaboration verticale, mais qui ne seront pas nécessairement appliquées si la situation ne correspond pas parfaitement aux circonstances prévues dans la loi. Quant aux dispositions de base en matière de collaboration anticoncurrentielle, elles ne visent que la collaboration entre des concurrents réels ou potentiels ou la collaboration horizontale.
Encore une fois, nous faisons figure d’exception à ce chapitre. En effet, dans d’autres pays comme les États‑Unis, des pays d’Europe et l’Australie, on peut se pencher sur les accords de collaboration verticale qui limitent la concurrence, notamment en limitant les réseaux de distribution ou les territoires d’exploitation. Dans un cas digne de mention, le département de la Justice des États‑Unis a contesté des dispositions de contrats que Visa et Mastercard avaient conclus avec des commerçants pour limiter les options des consommateurs. Lorsque le Bureau de la concurrence du Canada a tenté de préparer un dossier similaire, les limites de la Loi sur la concurrence l’ont obligé à s’appuyer sur des dispositions mal adaptées à la situation, et il a perdu sa cause. Le Tribunal de la concurrence n’a pas pu rendre une ordonnance même s’il a reconnu que les pratiques en cause nuisaient à la concurrence. Cette situation nous a bien montré l’importance de se doter d’un cadre juridique moderne et bien adapté au fonctionnement du marché actuel.
Nous avons constaté qu’il est temps que le Canada se joigne au club, pour ainsi dire, et qu’il s’inspire des pratiques exemplaires de ses pairs. C’est pourquoi j’encourage mes collègues à se joindre à moi pour appuyer l’adoption du projet de loi.
Madame la Présidente, je remercie mon collègue de ses bons mots. J’ai certainement prêté attention au projet de loi et je prête attention à tout ce qui se passe à la Chambre.
Les consultations ont commencé il y a déjà un certain temps. Je pense qu’il est important d’examiner le processus qui est suivi lorsque nous présentons un projet de loi, invitons la participation de plusieurs provinces et territoires et avons des discussions avec les détaillants et tous les gens concernés par ce que nous essayons de réaliser ici.
Il n’y a jamais de meilleur moment pour présenter un projet de loi. Je suis heureuse que nous intervenions et agissions parce que, comme nous l’avons clairement déclaré à la Chambre, tous nos concitoyens nous disent qu’ils sont préoccupés par l’abordabilité et le prix du panier d’épicerie. Comme je l’ai dit, nous devons utiliser tous les outils à notre disposition. Je suis heureuse que le projet de loi ait été présenté et, je le répète, les consultations ont commencé il y a déjà un certain temps.
Madame la Présidente, je remercie mon collègue de sa question.
Des promoteurs de partout au pays nous disaient déjà que cela allait les inciter à vraiment accroître le parc et augmenter l’offre. Le geste le plus important que nous pouvons poser à l’heure actuelle, du côté fédéral, c’est de nous pencher sur l’augmentation du coût des loyers et des maisons. C’est un problème dans ma circonscription, comme dans celles de tous les députés.
J’en ai discuté avec des promoteurs. Ils disent être à la recherche d’outils et s’attendent à ce que le gouvernement les soutienne. Il s’agit d’une mesure très importante qui pourrait contribuer à la densification et à l’accroissement des parcs. C’est la meilleure mesure que nous puissions prendre pour faire baisser les prix. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain, mais nous travaillons aussi vite que possible.
Madame la Présidente, il y a une combinaison de choses. Il s’agit d’un dossier multidimensionnel qui a une incidence sur la vie de Canadiens d’un bout à l’autre du pays. Les logements locatifs hors marché doivent absolument faire partie de l’équation. Il faut envisager des modèles comme les coopératives. Nous devons envisager tous les outils à notre disposition.
Le secteur privé a toutefois un rôle à jouer. Je sais qu’on vilipende beaucoup les promoteurs immobiliers. Je pourrais citer des exemples dans ma circonscription. Il y a toutefois un promoteur incroyable, Marcel LeBrun, qui a joué un grand rôle dans la promotion de moyens vraiment inclusifs et créatifs de lutter contre la crise du logement.
Il faudra une combinaison de choses, et il faudra aussi sans aucun doute inclure les promoteurs dans les discussions tout en protégeant les personnes touchées par la crise du logement au pays.
Madame la Présidente, je viens d’une province qui connaît très bien le problème de la mainmise des grandes sociétés et ce qui peut se produire en l’absence de concurrence dans les marchés, surtout quand vient le temps de protéger les petits détaillants et épiciers. C’est un sujet de conversation à l’heure actuelle. La concurrence est toujours préférable. Cette mesure législative est un grand pas en avant et cela nous permet d’être mieux alignés sur ce que font d’autres pays.